Société
Créature de l’imaginaire occidental, le mythe de Bali a la vie dure. Mais il est aujourd’hui fortement remis en cause. Surtourisme et comportements irrespectueux trop nombreux de la part des visiteurs occidentaux, Bali est en plein questionnement sur son avenir économique, patrimonial et social. Faut-il mettre fin à une dépendance néfaste et développer sur d’autres secteurs d’exportation comme l’agriculture et l’artisanat ? Ou bien faut-il continuer à fonder le développement de l’île sur le tourisme ? Le gouvernement provincial de l’île indonésienne a annoncé qu’il allait introduire des règles pour attirer des touristes étrangers d’une « meilleure qualité », notamment en limitant leur nombre. Une taxe individuelle de 10 dollars sera imposée à partir de 2024.
*Bali est la seule île d’Indonésie à avoir le statut de province, malgré sa petite taille : 5 780 km2 (la moyenne d’un département français), dans un pays d’une superficie de près de 2 millions de km², constitué de plus de 16 000 îles qui s’étendent sur plus de 5 000 kilomètres d’Ouest en Est, plus que la distance de Londres à Téhéran. Le cas général est soit une grande île subdivisée en plusieurs provinces, comme Java ou Sumatra, soit plusieurs petites îles rassemblées en une province, comme les Moluques ou les Petites Îles de la Sonde. Les provinces indonésiennes, au nombre de 38 à cette date, sont souvent délimitées sur la base de critères ethniques ou religieux. Bali en est une illustration. **En fait, les lois indonésienne sur l’autonomie régionale donnent ce pouvoir aux départements (kabupaten) et non aux provinces. Bali possède huit kabupaten, qui correspondent aux anciens royaumes balinais existant à la fin de la conquête de l’île par les troupes coloniales néerlandaises en 1908 et auxquels il faut ajouter la ville (kota) de Denpasar, la capitale provinciale, qui a même rang que le kabupaten.
En mai dernier, le gouvernement provincial* de l’île indonésienne de Bali a annoncé qu’il allait introduire des règles** pour attirer des touristes étrangers d’une « meilleure qualité », notamment en limitant leur nombre. Une taxe individuelle de 10 dollars sera imposée à partir de 2024. Quand on a demandé au gouverneur I Wayan Koster si cette taxe ne découragerait pas les touristes étrangers, il a répondu négativement, déclarant que la taxe permettrait de préserver l’environnement et la culture de Bali, et de construire de meilleures infrastructures, ce qui ferait de l’île un endroit plus confortable et plus sûr.
Le mois suivant, le gouverneur a annoncé la publication d’une liste d’obligations et d’interdictions que les visiteurs devraient observer. Parmi ces obligations, le respect de tout ce qui est religieux, le port d’une tenue décente et un comportement poli dans l’espace public. Cette mesure est présentée comme une réaction à une série de mauvais comportements de visiteurs étrangers depuis le début de 2023.
Enfin, en juillet, les autorités de l’immigration indonésienne ont mis en place un groupe de travail baptisé « Bali ordonné » (Bali Becik) pour sévir contre les visiteurs étrangers qui violent les règles et les normes locales. Les Balinais disposent désormais d’un numéro d’assistance téléphonique pour signaler les étrangers ayant un comportement irrespectueux ou illégal.
Une évolution déplaisante
La presse indonésienne rapporte en effet de plus en plus souvent l’expulsion d’Indonésie par les autorités balinaises de ressortissants étrangers pour des motifs divers, en général pour des questions de visa ou autres infractions à la loi ou aux règlements. Les réseaux sociaux se font également l’écho de toutes sortes d’autres griefs.
En 2018 déjà, les autorités de Bali envisageaient de prendre des mesures sévères pour faire cesser les comportements de touristes peu respectueux.
Le Washington Post, dans un article d’avril dernier, intitulé « Bali locals are fed up with bad tourists », rapporte que depuis la réouverture de l’Indonésie aux visiteurs étrangers, on constate à Bali une augmentation du nombre de visiteurs étrangers qui enfreignent la loi. Précédemment en mars, le gouverneur Koster avait demandé au ministère indonésien de la Justice et des Droits de l’homme de supprimer le visa à l’arrivée pour les ressortissants russes et ukrainiens, dont « les infractions étaient plus « significatives » que celles des autres ».
*Le banjar, ou hameau, est la communauté de base traditionnelle de la société balinaise.
Outre les infractions à la loi, ont aussi été signalés des comportements qui en France sont qualifiés « d’outrage public à la pudeur ». En 2013 par exemple, un couple d’Estoniens avait été arrêté pour avoir été surpris en plein ébat amoureux dans un temple de la région de Gianyar. Il s’en était tiré en étant condamné par le banjar* à une amende de 2 000 dollars pour payer une cérémonie de purification. Le couple avait déclaré ne pas savoir qu’il était interdit de s’adonner à l’acte sexuel dans un temple à Bali. Pour éviter que de tels agissements se reproduisent, des responsables balinais avaient envisagé la pose de panneaux portant la mention « No sex ».
On peut se demander s’il est autorisé de s’adonner à des ébats sexuels dans les églises d’Estonie, même si aujourd’hui, 29 % seulement des citoyens de ce pays déclarent adhérer à une religion. En France, l’article 330 de l’ancien code pénal de 1810 stipulait : « Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de 500 francs à 15 000 francs. » L’article 222-32 du nouveau code pénal de 1994 déclare désormais : « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » On peut aussi se demander ce qui a pu faire penser au couple estonien qu’il n’était pas interdit de forniquer dans un temple à Bali.
Selon Wayan Wardika, un militant écologiste, il faudrait des mesures comme une meilleure signalisation ou l’obligation de prendre un guide pour que les gens comprennent que les temples et les lieux sacrés ne sont pas là pour le décor mais pour la vie de la société.
L’image actuelle de Bali
*Par exemple, l’écrivaine américaine Elizabeth Pisani, qui a vécu 7 ans en Indonésie, avait en 2014 publié sur son site, Indonesia etc, la lettre d’un Britannique dont la HSBC avait bloqué la carte bancaire alors que ce client était en vacances à Bali. En réponse à sa lettre, la banque avait expliqué : « Vous nous avez dit que vous alliez à Bali, alors quand une transaction a été tentée en Indonésie, nous avons soupçonné une fraude et bloqué votre carte. » **Gaël Lacroix, ancien attaché de défense en Indonésie, raconte dans la lettre d’analyse stratégique La Vigie que se rendant à Jakarta en 2018, il rencontre à l’escale de Singapour un couple de vacanciers français qui allait à Bali et que leur opérateur touristique leur avait affirmé que Bali et l’Indonésie n’avaient rien en commun.
Bali est l’île indonésienne la plus connue dans le monde. La majorité des visiteurs étrangers qui se rendent en Indonésie, quelque 40 % d’une année sur l’autre, arrivent par l’aéroport de Denpasar, la capitale provinciale. On ne sait d’ailleurs pas toujours que celle-ci est en Indonésie, ce qui produit des anecdotes amusantes* ou affligeantes**.
Bali est surnommée « l’île des Dieux » et qualifiée de « paradis ». Mais ses habitants se plaignent de plus en plus du comportement de certains de leurs visiteurs étrangers.
Dans l’article du Washington Post, Ravindra Singh Shekhawat, directeur de l’opérateur australien Intrepid Travel à Bali, attribue certains des comportements à l’ignorance. Selon lui, « beaucoup considèrent Bali davantage comme une île de la fête. […] Ce qui pourrait être l’une des explications au manque de conscience très répandu de l’attachement de la population locale aux traditions. » John McBeth de la revue d’actualité et d’information Asia Times basée à Hong Kong ne dit pas autre chose : « Nombreux sont les jeunes touristes étrangers qui viennent à Bali aujourd’hui, non pour le paysage ou la culture, ou même pour le surf. « Ils sont là uniquement pour faire la fête, explique un résident installé depuis des années. C’est de l’hédonisme, rien d’autre ». »
Toujours dans le même article du Washington Post, Justin Smith, propriétaire de l’organisateur de voyage de luxe The Evolved Traveler, rappelle que « Bali est connue depuis des décennies comme une « destination de bohème », où les étrangers étaient les bienvenus, peu importe leur comportement ou leur accoutrement. » D’après lui, il ne vient pas à l’esprit des visiteurs étrangers que les Balinais attendent d’eux du respect et une tenue décente. Il n’est donc pas étonnant que certains en déduisent que les Balinais acceptent les comportements les plus incongrus, en particulier dans le domaine du sexe, que ce soit une touriste allemande qui se déshabille dans un temple, une Tchèque qui se fait photographier nue devant un arbre sacré, des Russes qui dansent dans un temple ou une Danoise assise à l’arrière d’une moto qui montre son sexe.
Pour la fête ou la bohème, les Européens peuvent pourtant aller à Ibiza en Espagne et les Américains à Punta Cana en République dominicaine. Il y a donc d’autres raisons qui attirent les visiteurs étrangers à Bali. « L’image de Bali aux yeux de nombreux étrangers, écrit le Washington Post – celle véhiculée dans le film à succès avec Julia Roberts, « Eat Pray Love » – existe encore. Bali reste couverte de rizières verdoyantes et de sable doré entouré d’une eau turquoise. » Pour Ravindra Singh Shekhawat, directeur général pour l’Indonésie de l’organisateur de tourisme d’aventure australien Intrepid Travel basé à Bali, « ce que rend Bali unique et parfaite pour une destination de vacances, ce sont ses traditions, ses coutumes et sa population locale. Une île splendide avec des habitants généreux où la vie n’est pas chère, à tel point que les étrangers pourraient s’y installer pour vivre sans même travailler. »
On voit des rizières verdoyantes, de belles plages, des eaux turquoises, des traditions, des coutumes et des habitants généreux dans toute l’Indonésie et dans toute l’Asie du Sud-Est. C’est donc autre chose qui rend Bali « unique et parfaite pour une destination de vacances ».
Le mythe de Bali
*Dans Éric Buvelot, Bali, 50 ans de changements – Entretiens avec Jean Couteau, éditions GOPE, 2021.
Selon l’écrivain français Jean Couteau, qui vit à Bali depuis le début des années 1970, le tourisme de l’île a commencé avec les fonctionnaires néerlandais, une fois terminée la conquête en 1908*. Dans les années 1920, le gouvernement colonial fait la promotion de Bali, la présentant comme « une sorte de musée culturel vivant : un paysage de rizières et de temples hindous qui offrait aux Européens cultivés un sentiment de retrait des pressions de la modernité. […] Bali offrait un mirage de sérénité et de sensualité. Les artistes européens qui visitaient l’île et souvent décidaient de s’y installer dans les décennies avant la Seconde Guerre mondiale, y trouvaient ce que Paul Gauguin avait trouvé à Tahiti à la fin du XIXème siècle. Comme Tahiti, Bali était un endroit qui pouvait être fantasmé et idéalisé à travers le prisme de l’art. » Le mythe de Bali est né, création de l’imaginaire occidental qui va attirer les visiteurs du monde entier.
*Christine Cabasset, « Tourisme culturel et tourisme de masse à Bali », in Les Cahiers d’Outre-Mer, 1995. **Dans Éric Buvelot, ibid.
Le peintre allemand Walter Spies va jouer un rôle déterminant dans la construction du mythe balinais. Il s’installe dans l’île en 1927, après avoir séjourné quatre années à la cour royale de Yogyakarta dans le centre de Java. Dans les années 1930, d’autres artistes et intellectuels européens et américains débarquent dans l’île : le compositeur canadien Colin McPhee , l’anthropologue Margaret Mead et son mari Gregory Bateson, le peintre mexicain Miguel Covarrubias (auteur de Island of Bali) et sa femme Rosa, l’écrivaine autrichienne Vicky Baum (auteure du roman Liebe und Tod auf Bali, Sang et volupté à Bali dans sa traduction française). Ce sont ces artistes et intellectuels qui créent la réputation de Bali comme « île des Dieux »* et comme « paradis »**. A leur suite, dans ces années 1930, des visiteurs européens et américains fortunés et cultivés visitent Java et Bali.
La Seconde Guerre mondiale et l’occupation japonaise de l’archipel indonésien interrompent le tourisme occidental. En août 1945, le Japon capitule et l’Indonésie proclame son indépendance. Les Pays-Bas reviennent dans ce qu’ils considèrent toujours comme leur colonie. Il s’ensuit un conflit armé et diplomatique qui ne prend fin qu’en 1949 quand sous la pression des États-Unis et de la communauté internationale, les Néerlandais doivent accepter le transfert de la souveraineté de l’archipel aux Indonésiens.
*Le général Sarwo Edhie Wibowo, qui à l’époque commandait les forces spéciales de l’armée de terre et était chargé de la supervision des massacres, racontait qu’à Java, il fallait pousser les paysans à tuer les communistes alors qu’à Bali, il fallait les retenir.
Avec la fin du conflit et la reconnaissance de la jeune république par la communauté internationale, de riches étrangers cultivés reviennent visiter Java et Bali. Mais la fin des années 1950 et le début des années 1960, marquées par diverses rébellions, le tournant autoritaire de Soekarno et des tensions politiques, ne sont pas un contexte favorable au tourisme. La période de 1965-1966 voit le massacre de plus de cinq cent mille personnes qualifiées de « communistes », les tueries les plus violentes ayant lieu à Bali*.
Le développement de Bali depuis le régime Soeharto
Début 1966, le général Soeharto se fait remettre les pleins pouvoirs par le président Soekarno. Le nouveau régime se fixe comme objectif le redressement d’une économie mise à mal par les aventures politiques de Soekarno. Il souhaite développer entre autres le tourisme international comme source de devises.
À Bali, la seule station balnéaire est alors Sanur, où il n’y a que trois hôtels : le Sindhu Beach de l’époque coloniale qui appartient à l’État, le Tandjung Sari créé par un particulier, et le Bali Beach construit par le gouvernement avec l’argent des dommages de guerre du Japon. L’allongement à 2 700 mètres de la piste de l’unique aéroport de l’île pour pouvoir accueillir des quadriréacteurs Boeing 707 et Douglas DC-8 et la construction d’une nouvelle aérogare sont achevés en 1969. L’Australienne Qantas et Thai International sont les premières compagnies étrangères à ouvrir une ligne vers Bali.
Les visiteurs étrangers sont encore une fois des Occidentaux aisés et cultivés. Ils séjournent à Sanur mais aussi à Ubud dans l’intérieur de l’île, où vit le peintre américain Antonio Blanco. Une autre catégorie de touristes apparaît au début des années 1970. Des jeunes gens prolongent le « Hippie Trail », un « sentier » qui jusqu’alors les emmenait à Kaboul, dans l’Afghanistan du roi Zaher qui était une des sources du haschich, à Katmandou, en quête d’une expérience spirituelle, puis à Kuta à Bali, un village de pêcheurs proche de l’aéroport et l’aboutissement de cette route des « 3 K ». Eux ne s’intéressent pas particulièrement à la culture balinaise mais sont ouverts d’esprits et curieux.
Toutefois, le régime Soeharto souhaite limiter les mouvements des visiteurs étrangers. En outre, selon Couteau, il veut préserver « l’authenticité » de Bali. Il faut donc créer une nouvelle station à l’écart de la société balinaise, ce qui n’est le cas ni de Sanur ni de Kuta. Un autre critère est la proximité avec l’aéroport. Sur la base de ces paramètres, le gouvernement charge en 1970 un bureau d’études français, la SCETO (Société centrale pour l’équipement touristique outre-Mer), d’élaborer un plan directeur pour le développement touristique de Bali. Le résultat en est la construction de la station touristique de Nusa Dua dans l’aride péninsule de Bukit et au sud de l’aéroport, qui sépare la station du reste de Bali. Le premier hôtel est inauguré en 1983.
À l’époque, outre Qantas et Thai déjà citées, seules l’Américaine Pan Am et Singapore Airlines ont des droits de trafic sur Bali. En 1986, le gouvernement indonésien ouvre l’aéroport aux autres compagnies. Il s’ensuit une croissance rapide du nombre de visiteurs étrangers. De nouveaux hôtels sont construits à Kuta, plus proche de l’aéroport que Nusa Dua, ainsi qu’à Sanur. Le développement se poursuit le long de la côte vers le Nord, atteignant successivement Legian, Seminyak et Canggu, et plus généralement le sud de Bali. Les visiteurs désireux de lieux plus calme, que la distance avec l’aéroport ne décourage pas, découvrent Candi Dasa, un village côtier dans l’est de Bali, puis Amed, un village de la côte nord-est encore plus éloigné.
Avec la croissance du nombre de touristes, étrangers et en outre de plus en plus indonésiens, la construction d’hôtels est frénétique, au point que le gouvernement provincial décrète en 2011 un moratoire pour la construction de nouveaux établissements dans le Sud. Mais en Indonésie, les lois d’autonomie régionale donnent le pouvoir de décision aux préfets, les bupati, et aux maires des grandes villes, les walikota. À Bali, ils s’opposent au moratoire, si bien que la construction de nouveaux hôtels s’est poursuivie.
Bali est de loin la principale destination touristique internationale de l’Indonésie. En 2019, dernière année avant le début de la propagation mondiale du Covid-19, l’île a accueillit 6,2 millions de touristes étrangers, soit 39 % des 16,1 millions pour l’ensemble du pays. Les plus nombreux étaient les Australiens (19,8 % des arrivées), suivis des Chinois (18,8 %) et des Indiens (6 %). Les Européens les plus nombreux étaient les Britanniques (4,6 %), les Français (3,3 %) et les Allemands (3,1 %).
Un « privilège blanc » ?
Pour l’écrivaine balinaise Ni Made Purnama Sari, le mauvais comportement de certains touristes est un héritage de la politique du gouvernement colonial néerlandais, qui promouvait Bali comme une marchandise et ne voyait dans les Balinais que des « outils dans le secteur du tourisme ».
*L’auteur a vécu une telle situation en 1991 dans un restaurant célèbre de Seminyak. Alors qu’il était installé avec sa femme indonésienne et ses quatre enfants et qu’il avait passé sa commande, une serveuse a placé à leur table sans leur en demander la permission une famille d’Italiens, les étrangers ne les saluant même pas. Ceux-ci ont été servis alors que leur commande n’arrivait toujours pas. L’auteur et sa famille se sont immédiatement levés et sont partis.
Un autre aspect déplaisant du tourisme balinais est la discrimination à laquelle sont parfois confrontés des clients indonésiens dans les bars et les restaurants. Un certain Mike S. écrit ainsi sur le site Bali Manual : « De nombreux restaurants à Bali servent en priorité leurs clients internaitonaux, laissant lerus clients locaux attendre, peu importe l’ordre d’arrivée. »*
Un cas extrême est celui de Parq Ubud, un lieu qu’un site définit comme « la ville du futur », mais qu’une journaliste du quotidien économique The Australian Financial Review qualifie « d’épicentre la culture expatriée fermée », où les seuls Balinais présents sont le personnel.
*Le mot indonésien est bule, qui désigne les animaux albinos. Apparu dans les années 1970, il n’est pas perçu comme péjoratif par les Indonésiens. Ce n’est pas le point de vue de l’auteur, qui évite de l’utiliser. En javanais, le terme pour désigner les « Blancs » est Londo, qui veut dire « hollandais » et n’a pas de connotation particulière.
La plupart des dénonciations de discrimination viennent bien entendu d’Indonésiens. Sur Internet, on trouve par exemple un article intitulé « Discrimination dans le service aux touristes locaux et blancs* à Bali, les internautes sont furieux ». Nyoman Sukma Arida, professeur en tourisme à l’université d’État Udayana à Bali, constate cette discrimination : « Nous avons observé comment Bali donnait un traitement différent aux touristes étrangers et aux touristes locaux. Mais cela n’arrive pas dans les autres régions comme Yogyakarta et Malang, où tous les touristes sont traités à égalité. »
La raison pour laquelle à Java, on ne traite pas différemment les touristes étrangers et locaux est que son économie ne dépend pas du tourisme*. L’île contribue pour près de 60 % au produit intérieur brut (PIB) de l’Indonésie et est le cœur économique du pays. Cette prééminence remonte à l’époque coloniale, quand les Néerlandais désignaient les autres îles des Indes néerlandaises comme des « possessions extérieures » (buitenbezittingen) ou des « régions extérieures » (buitengewesten). Elle a comme origine l’époque où à partir du VIIIème siècle, les pleines fertiles du centre et de l’est de Java avaient fait de l’île le grenier à riz de l’archipel. Aujourd’hui encore, l’agriculture occupe plus des deux tiers de la superficie de Java. Mais avec une population qui représente également 60 % de celle du pays, Java est aussi le centre industriel et tertiaire de l’Indonésie.
*« Le programme Fulbright a été créé aux États-Unis en 1946 par le Congrès américain, dans l’espoir que’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les échanges culturels contribueraient à asseoir durablement la paix. »
Pour l’anthropologue américaine Kelli Swazey du programme Fulbright*, le refus de certains touristes étrangers de respecter le règlement à Bali prend racine dans le « privilège blanc ». Par exemple, une Américaine vendait des astuces pour contourner les règlements de l’immigration indonésienne et s’installer à Bali pendant la pandémie. Des Indonésiens l’ont dénoncée sur Twitter. Les autorités l’ont expulsée.
Selon Swazey, les Balinais sont réticents à protester contre de tels agissements par peur de perdre leur gagne-pain. Elle écrit : « Les causes de cette attitude des deux côtés viennent des temps coloniaux. » Mais nous insistons sur le fait que les deux positions ne sont pas symétriques : il y a d’une part des « dominants », les touristes « blancs », et d’autre part des « dominés », les Balinais. En outre, elles n’ont pas comme origine le colonialisme, elles reposent sur une idéologie qui justifiait ce dernier.
*Le terme « généraliser » est insuffisant pour caractériser ce processus.
Une autre anthropologue, Anne-Meike Fechter de l’université du Sussex au Royaume-Uni, parle des commentaires et comportements dédaigneux que peuvent tenir des « Blancs » à propos des Indonésiens, les qualifiant « d’ignorants » et « d’arriérés ». De tels propos attribuent aux Indonésiens des caractéristiques, en l’occurrence rabaissantes, qui leur seraient inhérentes en tant qu’Indonésiens : ils essentialisent ces derniers*.
*Cité par David Van Reybrouck dans la traduction française de son livre Revolusi, Actes Sud, 2022.
Les propos rabaissants étaient systémique du colonialisme. Ils exprimaient l’idéologie qui justifiaient celui-ci, à savoir la domination d’une population sur une autre. Ainsi en 1915, on pouvait lire dans Het Nieuws van den Dag voor Nederlandsch-Indië (« Nouvelles du jour pour les Indes néerlandaises ») : « À notre avis, le Javanais est un enfant : désobéissant, capricieux, difficile, fourbe et cruel. Incapable de subvenir à ses propres besoins, incapable d’effectuer de façon autonome le moindre travail sérieux. […] Et le maître, c’est nous ? »*
Un siècle plus tard, le colonialisme n’est plus là, mais on peut encore entendre des propos similaires. Par exemple en 2019, dans un entretien avec une étudiante qui faisait un stage dans une entreprise française à Jakarta, un Français qui vit en Indonésie déclarait : « [Les Indonésiens] sont des gens fainéants. Ils travaillent pour un salaire, mais ne vont pas travailler pour eux, pour leur évolution ou épanouissement personnel… Quand ils ont atteint les objectifs de la journée, ils s’arrêtent, ils ne vont pas faire d’heures supplémentaires pour économiser et améliorer leur vie. Ils prennent l’argent, rentrent chez eux, et dépensent tout. » Avec l’étudiante, nous expliquons en quoi cette description n’est pas la réalité mais une interprétation de cette dernière.
D’après l’écrivaine Made Purnama, si certains Balinais rechignent à dénoncer les mauvais comportements de touristes étrangers, c’est parce qu’on attend d’eux d’être tolérants envers les étrangers, plus qu’envers les touristes indonésiens. En 1986, l’auteur de cet article, à l’arrivée à Denpasar, demande à un employé de l’aéroport où il y avait un téléphone public. L’employé lui répond sur un ton peu respectueux auquel il n’avait jamais eu droit lors de ses précédents voyages à Bali. C’était la première fois qu’il y allait sans son épouse à l’époque, une Française. Celle-ci le « protégeait » de la discrimination « raciale ».
*Gérer les femmes et les hommes en Indonésie : le cas de Total, thèse sous la direction de Philippe d’Iribarne soutenue en 2010 à l’université Paris Nanterre. **La notion de « péril » et sa « conjuration » est développée par Philippe d’Iribarne dans son livre Penser la diversité du monde (Seuil, 2008).
En fait, en Indonésie, la tolérance envers les étrangers n’est pas nécessairement l’expression d’une idéologie de discrimination. Il y a en effet chez les Indonésiens un rapport à l’étranger qui repose sur une conception culturelle profonde, à savoir le « péril » inconscient d’être confronté à quelque chose de « fermé », comme l’auteur l’a identifié dans sa recherche de thèse*. Une des manières de « conjurer » ce péril** est d’être soi-même ouvert. Cette conception explique par exemple l’accueil qu’ont reçu deux jeunes touristes « blancs » dans un village de la région de Yogyakarta, qui s’étaient égarés dans une fête de mariage croyant que c’était un restaurant, et dont une vidéo a été publiée par la chaîne indonésienne Tribun Sumsel. Elle n’est pas contradictoire avec le fait qu’à Java, les touristes étrangers ne sont pas traités différemment des Indonésiens.
Cela dit à Bali, qui dépend du tourisme international, le « privilège blanc » existe.
Le tourisme, facteur de développement ?
Dans le monde de la recherche, il n’y a pas consensus sur le rapport entre tourisme et développement. Selon par exemple des chercheurs comme Manuela Liliana Muresan et Puiu Nistoreanu de l’université de Bucarest, « le tourisme est sans aucun doute devenu un facteur de développement économique et social pour tous dans la société contemporaine. »
Toutefois pour d’autres chercheurs, par exemple Francisco J. Calderon Vazquez de l’université de Malaga et Giovanni Ruggieri de l’université de Palerme, si le tourisme semble être un important facteur de transformation sur les plans économique, social et territorial, il n’est pas certain qu’il soit un facteur de développement et n’a pas nécessairement des effets positifs. L’économiste Federico Inchausti-Sintes de l’université de Las Palmas aux Canaries est encore plus critique et pense que le tourisme peut déclencher ce qu’on appelle la « maladie néerlandaise » (Dutch disease) ou « malédiction des ressources naturelles ».
*On touche à l’absurde quand des hôtels sont construits sur des rizières pour que les hôtes aient vue sur des rizières.
Ainsi à Bali, le développement touristique affecte l’agriculture, avec la transformation de rizières en terrain bâti*, et les ressources en eau, dont l’hôtellerie est grosse consommatrice, comme l’explique le groupe de réflexion progressiste Transnational Institute. Des chercheurs balinais critiquent la stratégie de développement de leur île, centrée sur le tourisme. Ils en dénoncent les effets sociaux, culturels et environnementaux, et craignent eux aussi un « syndrome hollandais » qui empêcherait le développement d’autres activités, par exemple d’une industrie manufacturière.
*OCDE, Tourism Trends and Policies, 2022.
Une comparaison entre Bali et l’Indonésie dans son ensemble peut être éclairante. En 2019, la contribution du tourisme au PIB de l’Indonésie était de 5 %. On est loin des 60 % dans le cas de Bali. Par comparaison, cette contribution était de 7 % pour la France et 4,4 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE*. En 1968, le PIB indonésien par habitant la plaçait au 117ème rang mondial sur 120 pays classés. Elle était l’un des pays les plus pauvres de la planète. Aujourd’hui, la Banque mondiale classifie l’Indonésie comme « un pays à revenu intermédiaire inférieur » et son PIB en fait la 16ème économie mondiale. Ce développement ne repose pas sur le tourisme.
Un tel développement fait qu’un nombre grandissant d’Indonésiens ont les moyens de visiter d’autres pays. Toujours en 2019, 11,7 millions d’entre eux se sont rendus à l’étranger, chiffre qu’on peut mettre en regard des 16,1 millions de visiteurs étrangers en Indonésie. Ces touristes indonésiens ont dépensé 14,4 milliards de dollars à l’étranger, à comparer aux 18,4 milliards de dollars qu’ont rapportés les touristes étrangers à l’archipel. L’Indonésie n’est plus seulement une destination touristique mais désormais également un pays de provenance touristique.
Une autre conséquence de ce développement est l’importance grandissante du tourisme intérieur : en 2019, il représentait 84% des dépenses dans le tourisme du pays https://www.oecd-ilibrary.org/industry-and-services/indonesia-domestic-inbound-and-outbound-tourism-indonesia_c1125e5c-en. Durant la pandémie, le gouverneur Koster avait reconnu que le marché intérieur indonésien était énorme et qu’il fallait s’en occuper en attendant un redémarrage du tourisme international https://coconuts.co/bali/news/25000-domestic-travelers-arrive-in-bali-each-day-koster/.
La pandémie a montré la nécessité pour Bali de sortir de sa dépendance à l’égard des touristes étrangers. Pour Nyoman Sukma, le professeur de l’université Udayana, les Balinais doivent puiser dans le potentiel indonésien et développer un tourisme de village plutôt qu’un tourisme de masse concentré sur des stations balnéaires. La réhabilitation de l’agriculture permettrait à la fois de moins dépendre du tourisme et de développer un tourisme plus « durable ».
La stratégie touristique de l’Indonésie
L’Indonésie n’est pas une grande destination touristique. Avec 16,1 millions de visiteurs étrangers en 2019, elle était trentième mondiale, loin derrière ses voisins d’Asie du Sud-Est la Thailande, douzième avec 39,9 millions d’arrivées, la Malaisie, vingtième avec 26,1 millions, Singapour, 24ème avec 19,1 millions et le Vietnam, 25ème avec 18 millions.
*Patrice Ollivaud et Peter Haxton, « Making the most of tourism in Indonesia to promote
sustainable regional development », in OECD Working Papers (2019). **le lac Toba dans le nord de Sumatra, Tanjung Lesung, un site sur la côte occidentale de Java, les Seribu, un archipel de 342 îles au large de Jakarta, Tanjung Kelayang, un site sur la côte nord de l’île de Belitung à l’est de Sumatra, le temple bouddhique de Borobudur dans le centre de Java, le volcan Bromo dans l’est de Java, le site de Mandalika sur la côte sud de l’île de Lombok à l’est de Bali, le site de Labuan Bajo sur la côte ouest de l’île de Flores, d’où on gagne le sanctuaire du varan de Komodo, les Wakatobi, un archipel de quelque 150 îles au sud-est de Sulawesi et l’île de Morotai dans le nord des Moluques. ***Labuan Bajo, Likupang dans le nord de Sulawesi, Mandalika, Le lac Toba et Yogyakarta dans le centre de Java.
Dès sa première élection en 2014, le président Joko Widodo a décidé de faire du tourisme un nouveau pilier de la croissance économique de l’Indonésie*. Toutefois, les 16,1 millions de visiteurs étrangers de 2019 étaient nettement en dessous de l’objectif de 20 millions du gouvernement. Le patron de l’agence de statistique avait alors déclaré que l’Indonésie devait faire des efforts pour faire venir plus de touristes étrangers. En 2017, il annonçait la création de « 10 nouveaux Bali » destinés à reproduire le succès économique de Bali**. En 2023, la liste était réduite à cinq***.
Mandalika est le premier de ces « New Bali » à prendre corps. Le groupe français Vinci a signé avec l’entreprise d’État Indonesia Tourism Development Corporation (ITDC) un accord-cadre pour y construire un complexe de 131 hectares comprenant divers équipements touristiques et un circuit moto de classe internationale. Vinci est le plus gros investisseurs de ce projet de 3 milliards de dollars, financé en partie par l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), une banque de développement créée à l’initiative de la Chine pour financer des projets pour lesquels, face aux besoins en infrastructure des pays asiatiques, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement ne suffisent pas. Les Nations Unies ont demandé au gouvernement indonésien de respecter les droits de l’homme et la loi à propos de cas de saisies de terrain agressives, d’éviction forcée et d’intimidation.
Pour Labuan Bajo, dès l’annonce des « 10 nouveaux Bali », le quotidien anglophone The Jakarta Post énonçait les problèmes que poserait un tel projet, notamment les ordures, la pêche illégale et les coraux menacés. Dans un reportage publié en mars dernier, le quotidien La Croix dénonce : « Sous couvert d’écotourisme, ces plans de développement gouvernementaux se mettent en place au détriment des populations locales, de l’environnement et de la biodiversité. »
*La loi de 2014 sur les villages définit le desa adat comme « une unité communautaire juridique qui a des limites territoriales et l’autorité pour réglementer et gérer les questions d’administration, les intérêts des populations locales sur la base d’initiatives de la population, les droits originaux de propositions et/ou les droits traditionnels reconnus et respectés dans le système de gouvernement de l’État unitaire de la République d’Indonésie ».
Dans le cas du lac Toba, dès 2019 un « village de droit coutumier » (desat adat)* déclarait rejeter le projet.
Trois des cinq « Nouveaux Bali » sont donc dénoncés comme contraires aux droits des populations locales.
À propos de Likupang, le gouverneur de Sulawesi du Nord considère que la population majoritairement chrétienne de la province est un argument de vente dans un pays dont les habitants sont en majorité musulmans. Cela peut attirer les expatriés non musulmans qui vivent en Indonésie, mais le monde ne manque pas de destinations non musulmanes qui ont d’autres arguments de vente que leur « non-musulmanité ».
*L’université d’État Gadjah Mada est la première créée par l’Indonésie indépendante. **Yogyakarta possède deux cours, le sultanat et la principauté du Pakualaman.
Quant à Yogyakarta, ville universitaire*, de culture aristocratique** et de création artistique contemporaine reconnue mondialement, située au cœur d’une région où se trouvent des monuments de l’époque hindou-bouddhique, dont les célèbres temples de Borobudur et Prambanan, elle risquerait plus de pâtir que de bénéficier d’un nombre excessifs de touristes.
« Surtourisme » ou « sous-touristes » ?
En 2019 déjà, les effets du surtourisme sur Bali avaient été dénoncés, amenant les autorités provinciales à envisager la taxe de 10 dollars. Partout dans le monde, des populations s’élèvent contre le surtourisme. En particulier, à travers l’Europe, dans les grandes villes qui ont un patrimoine historique comme Amsterdam, Barcelone, Florence ou Prague, les habitants expriment leur colère.
L’Indonésie ne sera pas le premier pays à imposer une taxe d’entrée. Ainsi en France, le touriste paie, en plus de sa note d’hôtel, une « taxe de séjour » dont le montant va de 20 centimes à 4 euros par personne et par nuit.
Des problèmes, mais quelles solutions ?
À Bali, le non-respect de la loi et des règlements n’est pas propre aux touristes : il est d’abord le fait d’Indonésiens. C’est l’argument qu’avance un touriste américain à moto arrêté par la police parce qu’il ne porte pas de casque. Il crie en accusant les policiers de vouloir « voler son argent ». Mais comme dans n’importe quel pays, les Indonésiens que la police arrête dans la rue ne crient pas des accusations contre les policiers : ils risqueraient de passer ensuite un très mauvais moment. Si des étrangers se le permettent, c’est qu’ils considèrent bénéficier d’un « privilège blanc ».
*Terme qui désigne les « Blancs », voir la note plus haut.
Le photographe indonésien Rio Helmi, qui vit à Bali, raconte que Made Wijaya, né Michael White, un paysagiste australien de réputation internationale qui a vécu plus de 40 ans à Bali où il est mort en 2016, avait inventé l’expression « Super Bule »* pour désigner ces touristes étrangers qui se permettent des comportement odieux envers les Balinais et leur culture.
Ce qui faisait la singularité de Bali par rapport aux autres destinations touristiques internationales était sa dimension culturelle, liée à un mythe créé dans les années 1930 par des artistes et des intellectuels occidentaux. Après l’intermède de la Seconde Guerre mondiale, prolongé par la Revolusi, comme les Indonésiens appellent la période qui va de la proclamation de l’indépendance en 1945 au transfert de souveraineté de 1949, le mythe attire des Occidentaux aisés et curieux. Le photographe Henri Cartier-Bresson, qui sympathise pour la cause indonésienne, se rend en Indonésie en 1949. Son livre Les danses à Bali paraît en 1954. L’écrivaine Clara Malraux visite l’Indonésie, où elle a des amis, en 1961. Son livre Java Bali paraît en 1963.
*Christine Cabasset, « Tourisme culturel et tourisme de masse à Bali », in Cahiers d’outre-mer, juillet-septembre 1995.
Jusque dans les années 1970, le tourisme de Bali est plutôt confidentiel. En 1995 déjà, la géographe française Christine Cabasset, spécialiste de l’Indonésie et de Timor-Leste, écrivait : « Fleuron du tourisme culturel, Bali butte aujourd’hui sur le tourisme de masse. Du fait d’une production artistique et artisanale en masse, Ubud, le « berceau culturel » de l’île, commence à connaître des dérapages. Quant à Kuta, ex-étape des « routards » à Bali, rien ne la différencie plus d’une station balnéaire à la mode, avec ses multiples hôtels internationaux et une vie nocturne débridée. Né de l’idée de préservation de la culture balinaise et donc de la rupture entre les locaux et les visiteurs, le tourisme culturel a entraîné le sacrifice du sud de l’île au tourisme. »* Mais d’après Jean Couteau, même les touristes riches ne s’intéressent plus à la culture balinaise.
Pour notre part, nous observons une évolution depuis la première fois que nous sommes allés à Bali en 1969. Cette année-là, l’île avait reçu un peu plus de 11 000 touristes étrangers, soit 13 % sur un total de 86 000 pour l’ensemble de l’Indonésie. Durant les années 1970 et jusqu’au milieu des années 1980, les touristes étaient essentiellement étrangers et passaient par Jakarta puisqu’à l’époque, il y avait peu de vols internationaux vers Bali. Selon leurs moyens, ils prenaient ensuite l’avion pour Yogyakarta, d’où on peut visiter les grands temples de Borobudur bouddhique et Prambanan shivaïte, ou s’y rendaient en train. Ils en repartaient ensuite, soit pour gagner Bali directement en avion, soit en visitant le volcan Bromo dans l’est de Java. Ces touristes étrangers voulaient découvrir l’Indonésie, ses habitants, leur culture, la beauté des paysages.
De 1969 à 1986, année de l’ouverture totale de l’aéroport aux compagnies étrangères, la croissance annuelle moyenne a atteint près de 19 % pour Bali contre un peu plus de 13 % pour l’ensemble de l’Indonésie. De 1986 à 2019, dernière année avant la pandémie, elle baissé à 10 % pour Bali et 9 % pour l’Indonésie*. Alors qu’on aurait pensé que cette ouverture se traduirait par une accélération du nombre de visiteurs étrangers arrivant à Bali, on constate un ralentissement important. Mais ce nombre fait désormais de Bali une destination du tourisme de masse qui reçoit près 40 % des visiteurs étrangers en Indonésie.
Une diminution du tourisme international de masse se traduirait mécaniquement par une baisse draconienne du revenu des Balinais. Il est donc impératif de développer d’autres activités. L’économie de l’Indonésie dans son ensemble montre que le développement est possible, dans lequel le tourisme joue un rôle secondaire. Mais une telle réduction irait toutefois à l’encontre des intérêts des milieux qui investissent à Bali.
*Les seules liaisons aériennes internationales sont avec Kuala Lumpur en Malaisie et Singapour.
La stratégie du gouvernement indonésien en matière de tourisme international est fondée sur une « politique du chiffre » qui ne prend pas en considération les conséquences du tourisme de masse. Des cinq « nouveaux Bali », seul Yogyakarta, dont l’économie ne dépend pas fondamentalement du tourisme international*, est une destination culturelle. En outre, trois d’entre eux : Labuan Bajo à Flores, Likupang dans le nord de Sulawesi, Mandalika à Lombok, révèlent d’ores et déjà des violations des droits des populations locales. Flores et Lombok sont des îles pauvres. Les revenus du tourisme vont améliorer la conditions des populations, mais l’économie deviendra dépendante du tourisme. Le gouvernement indonésien ne semble pas tirer de leçon du cas de Bali.
Par Anda Djoehana Wiradikarta
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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
Author: Luke Bell
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